Vivant à Cabestany près de Perpignan, Marie et Lionel Limiñana forment un couple partageant la même passion et enregistrent leur musique à domicile. Pas le mode de vie le plus rock’n’roll. Et Pourtant, après une poignée d’années d’existence, The Limiñanas s’affirme comme un des noms les plus crédibles de la scène garage et traverse les continents pour livrer des prestations remarquées. Shadow People, leur nouvel album chez Because, pourrait bien marquer un tournant.
Soutenus par Anton Newcombe
Alors que la bataille de la britpop se joue au milieu des années 1990 en Angleterre, au même moment, une opposition plus discrète – mise en images dans le formidable DIG! – prend forme de l’autre côté de l’Atlantique. La formation clinquante de Courtney Taylor, The Dandy Warhols, finit par faire chambre à part avec les chaotiques Brian Jonestown Massacre, emmenés par leur charismatique leader (mais néanmoins peu fiable) Anton Newcombe. Une période du rock américain qui, à l’instar des nouvelles idoles britanniques ravivant le feu des mélodies sixties des Beatles, remet au goût du jour les guitares abrasives de son héritage et les expérimentations initiées par le Velvet Underground. Plus de 20 ans après, le rock psychédélique n’a pas dit son dernier mot. En atteste l’ascension de The Limiñanas, couple d’irréductibles perpignanais sans réelle concurrence sur ce créneau là dans le paysage hexagonal.
En théorie, comme toute formation rock vivant à l’époque d’internet, The Limiñanas aurait dû se destiner à sortir quelques disques détenus par une poignée d’amateurs et se contenter de quelques centaines d’écoutes sur les plateformes de streaming. Une misère en soit. Mais The Limiñanas semble échapper à ce destin préconçu. Sans même bouger de leur domicile, le couple à la musique qu’il qualifient eux-même d’« artisanale », finit par poster ses titres sur le net et se fait repérer par deux labels de Chicago, Trouble In Mind et Hozac. C’est le début de leur aventure internationale, qui va suivre avec un album et une tournée américaine. Peu de temps après, The Limiñanas se fait un nom à l’étranger et glane même des louanges de Bobby Gillespie et… Anton Newcombe. Ce dernier, toujours très productif avec les Brian Jonestown Massacre depuis tout ce temps, pose une oreille attentive sur la musique des frenchies. Le pape du rock psyché va même entamer une parade nuptiale à base de tweets pour rencontrer les sudistes. La magie opère et l’histoire nous emmène désormais en 2018, avec un nouvel album intitulé Shadow People et produit par l’Américain dans son studio à Berlin.
Déferlante de guitares
Un nouveau disque symbole d’une nouvelle étape pour le groupe. Autrefois formation bricolée où tout semblait improvisé, The Limiñanas se pointent aux portes de la reconnaissance unanime. Sollicités principalement à l’étranger, les Français le deviennent désormais sur leur propre territoire, avec des salles bien remplies et un contrat chez Because. Pourtant, le couple rock’n’roll ne fait pas dans la concession. Dès l’entame de « Ouverture », on retrouve l’effet rouleau compresseur instrumental propre à leur identité sonore. Epaulés au chant par Newcombe sur l’hypnotique « Istanbul Is Sleepy », Les Limiñanas servent sur un plateau une déferlante de guitares rutilantes, presque assommantes. Si l’album s’appréhende comme un monolithe relativement court, il n’en réserve pas moins quelques variantes grandement bienvenues. Les touches synthétiques apportent en intensité sur « Dimanche » et « The Gift », tandis que les guests viennent se fondre parfaitement dans cette bande son rêvée.
Shadow People raconte une histoire, celle d’un film imaginaire. Entre les longues plages de rythmiques caniculaires qui structurent l’album, Lionel Limiñana s’interpose et, d’une voix caverneuse, dresse un fil narratif. Hippies, mods, punks, l’homme à la longue barbe imposante évoque sur « Le premier jour » ses années lycées, un voyage rétrospectif qui plane tout au long du disque. Quand Peter Hook n’intervient pas pour faire revivre New Order l’espace d’un morceau (« The Gift »), c’est Marie Limiñana réouvre la porte des 80s avec la batterie culte de « Just Like Honey » des Jesus & Mary Chain, en marquant ses toms dès l’intro du premier titre. Au fond, le couple confirme avec Shadow People naviguer entre deux mondes, alternant entre paroles en anglais et en français, entre références psychédéliques anglo-saxonnes et invocation évidente du fantôme de Gainsbourg. Probablement une des raisons, couplée avec leur authenticité et cette étiquette DIY, qui font que The Limiñanas séduit les amateurs du monde entier.